Le krama, emblème textile du Cambodge, a traversé les époques en portant l’histoire tumultueuse du pays. Durant le régime des Khmers rouges, ce simple foulard à carreaux est devenu un symbole sinistre de loyauté forcée. Les cadres du parti l’arboraient fièrement, tandis que dans les zones orientales, un krama bleu marquait tragiquement ceux destinés à l’exécution. Aujourd’hui, le krama a retrouvé sa place de fierté nationale, transcendant son passé sombre pour redevenir un élément incontournable de la culture cambodgienne.
Selon les dernières données du Ministère du Tourisme cambodgien, 85% des Cambodgiens possèdent au moins un krama, témoignant de son importance dans la vie quotidienne. Ce chiffre impressionnant souligne la persistance de cette tradition séculaire, malgré la modernisation rapide du pays. Le krama n’est pas qu’un simple accessoire ; c’est un fil qui tisse l’identité culturelle du Cambodge, reliant le passé au présent.
Qu’est-ce qu’un krama ?
Le krama est une pièce de textile traditionnelle emblématique du Cambodge, reconnaissable à ses motifs géométriques caractéristiques. Il s’agit d’un tissu rectangulaire tissé à la main, principalement composé de coton ou de soie selon son usage. Sa particularité visuelle réside dans son motif à damiers, formé par le croisement de bandes blanches avec une autre couleur, généralement rouge, bleu ou violet. Ce motif quadrillé est obtenu par une technique de tissage spécifique où les artisans alternent les fils de chaîne et de trame de couleurs différentes.
Les dimensions du krama varient selon les régions et les usages. Historiquement, certains kramas pouvaient mesurer plusieurs mètres de longueur, mais aujourd’hui, leurs dimensions moyennes oscillent entre 70 x 140 cm. Les modèles commercialisés actuellement peuvent atteindre 165 x 65 cm pour les versions destinées aux touristes. Le village de Baseth, dans la province de Kampong Speu, se distingue par ses kramas de grande taille (environ 80 x 190 cm).
Les kramas en soie sont généralement plus petits que leurs homologues en coton et sont réservés aux occasions festives, tandis que les kramas en coton, plus robustes et lavables, sont privilégiés pour un usage quotidien. Cette distinction de matériaux reflète parfaitement la dualité du krama : à la fois objet pratique du quotidien et symbole culturel profondément ancré dans l’identité cambodgienne.
Histoire et traditions du krama
Origines
Le krama possède des racines historiques profondes qui remontent bien avant l’époque angkorienne. Selon Hab Touch, directeur du Musée National du Cambodge, cette étoffe traditionnelle daterait de l’ère pré-angkorienne de Norkor Phnom, entre le premier et le cinquième siècle de notre ère. Des statues de Shiva et d’autres divinités hindoues portant le kben (une grande pièce de tissu similaire au krama, enroulée à la taille) ont été découvertes sur le site d’Angkor Borey.
Les témoignages historiques se poursuivent avec les récits de Zhou Daguan, envoyé chinois qui séjourna à Angkor Thom en 1296-1297. Ses écrits révèlent que les Cambodgiens de l’époque ne pratiquaient pas l’élevage des vers à soie, mais savaient tisser des étoffes de coton à partir du kapok. Ces tissus, probablement de la taille d’un krama considérable, servaient de vêtements de base.
Rôle social
Le krama joue un rôle social important en tant que symbole d’appartenance ethnique. Traditionnellement, le krama à carreaux rouges est associé aux Khmers. Il est porté par tous, hommes, femmes et enfants, et est utilisé dans de nombreuses occasions de la vie quotidienne. Au-delà d’être un simple vêtement, il est un accessoire indispensable pour les paysans khmers, leur offrant de nombreux services pratiques.
Le krama transcende les différences régionales et agit comme un signe distinctif unifiant. Il symbolise l’identité culturelle cambodgienne et démontre le savoir-faire traditionnel des tisserandes khmères. Sa polyvalence, sa légèreté, son prix abordable et sa signification culturelle en font un élément indispensable de la vie quotidienne cambodgienne.
Citation d’un artisan
Comme l’a exprimé un membre de l’Association des Tisserands de Siem Reap :
« Le krama raconte l’histoire de nos ancêtres »
Cette citation souligne l’importance du krama en tant que vecteur de transmission culturelle et historique. Il incarne la résilience des Cambodgiens, leur adaptabilité et leur créativité, portant en lui l’histoire et les traditions du pays.
Fabrication artisanale du krama
Le tissage d’un krama est un art minutieux qui demande patience, rigueur et précision technique. Chaque étape de sa fabrication artisanale témoigne d’un savoir-faire ancestral transmis de génération en génération.
Préparation des matériaux
Tout commence par la sélection des fils de coton ou de soie. Pour les kramas aux couleurs naturelles, les tisserandes préparent les teintures en faisant bouillir des ingrédients naturels dans de grandes marmites : écorces d’arbres, feuilles, fruits et baies récoltés localement. Les fils sont ensuite plongés plusieurs fois dans ces bains colorants jusqu’à obtention de la teinte désirée, puis mis à sécher à l’air libre.
Installation sur le métier à tisser
Une fois secs, les fils sont disposés sur un métier à tisser traditionnel en bois. La longueur est soigneusement ajustée selon le type de krama à réaliser. Les fils de chaîne sont tendus sur le métier tandis que les fils de trame sont enroulés sur des bobines.
Tissage et finitions
Avant de commencer le tissage proprement dit, un échantillon est réalisé pour vérifier la couleur, le motif et la texture. La tisserande procède ensuite au tissage complet du krama, créant le motif à damier caractéristique en alternant les fils de chaîne et de trame. La dernière étape consiste à réaliser les franges et à coudre les éventuelles étiquettes.
La fabrication d’un krama traditionnel représente un investissement en temps considérable : entre 6 et 16 heures selon la complexité du modèle et sa taille. Pour un krama en soie de qualité supérieure, le processus peut s’étendre jusqu’à deux journées complètes de travail. Cette lenteur délibérée garantit une qualité exceptionnelle et préserve l’authenticité de cet artisanat cambodgien.
Différents types de krama
Le krama se décline en plusieurs variétés, chacune possédant ses caractéristiques propres en termes de matériaux, de motifs et d’usages. Cette diversité témoigne de l’évolution de cet accessoire traditionnel qui a su s’adapter aux tendances contemporaines tout en préservant son essence culturelle.
Krama classique
Le krama classique, ou krama traditionnel, est le plus répandu au Cambodge. Tissé en coton robuste, il présente le motif à damier caractéristique, généralement en blanc et rouge, bleu ou noir. Ses dimensions généreuses (environ 150 x 80 cm) permettent une multitude d’usages pratiques. Les villageois l’utilisent comme protection contre le soleil, comme serviette, pour porter des enfants ou transporter des marchandises.
Ce modèle se distingue par sa simplicité et sa fonctionnalité. Les artisans utilisent des techniques de tissage transmises depuis des générations, créant un tissu résistant qui peut durer plusieurs années malgré un usage quotidien intensif. Son prix abordable (environ 3 à 8 euros) le rend accessible à tous les Cambodgiens, ce qui explique sa présence dans 85% des foyers du pays.
Krama moderne
Le krama moderne représente l’évolution contemporaine de cet accessoire traditionnel. Des designers cambodgiens comme Nary Keo ou des marques comme Kravan House ont revisité le krama en introduisant des couleurs vives, des motifs géométriques innovants et des techniques de tissage mixtes. Ces créations conservent l’essence du krama tout en l’adaptant aux goûts actuels.
Plusieurs collaborations avec des marques éthiques internationales ont permis au krama de conquérir le marché mondial. Par exemple, la marque française « Krama Heritage » travaille directement avec des coopératives d’artisans cambodgiens pour créer des collections saisonnières respectant les principes du commerce équitable. Ces kramas modernes se déclinent en accessoires de mode variés : écharpes, sacs, pochettes et même vêtements, témoignant de la polyvalence de ce textile emblématique.
Krama de luxe
Le krama de luxe représente l’excellence du savoir-faire cambodgien. Tissé en soie fine, souvent selon la technique ikat (teinture des fils avant tissage), il arbore des motifs complexes et des combinaisons de couleurs sophistiquées. Sa fabrication mobilise les artisans les plus expérimentés pendant plusieurs semaines, justifiant son prix élevé qui oscille entre 50 et 150 euros.
Ces pièces d’exception sont souvent créées pour des occasions spéciales comme les cérémonies royales ou les mariages traditionnels. Des ateliers comme « Golden Silk Pheach » à Siem Reap se spécialisent dans ces kramas haut de gamme, utilisant des techniques ancestrales et des soies produites localement. Certains modèles intègrent des fils d’or ou d’argent pour des effets scintillants, perpétuant ainsi la tradition des textiles précieux de l’époque angkorienne. Ces kramas de luxe sont particulièrement prisés par les collectionneurs et les amateurs d’artisanat d’exception.
Utilisations du krama
Le krama est probablement l’un des textiles les plus polyvalents au monde. Sa simplicité apparente cache une incroyable adaptabilité qui en fait un accessoire indispensable dans la vie quotidienne des Cambodgiens. L’UNESCO a d’ailleurs recensé au moins 12 utilisations traditionnelles distinctes de ce tissu emblématique.
Protections corporelles
Porté sur la tête, le krama devient un turban efficace contre le soleil tropical cambodgien. Enroulé autour du cou, il se transforme en écharpe protégeant de la poussière sur les routes de campagne. De nombreux Cambodgiens l’utilisent également comme masque facial improvisé lors des déplacements en moto ou comme protection contre la pollution.
Usages domestiques
La polyvalence du krama s’étend à de multiples fonctions domestiques. Noué aux extrémités, il devient un hamac confortable pour les nourrissons. Les mères l’utilisent comme porte-bébé ergonomique, gardant leurs enfants contre elles tout en conservant les mains libres pour travailler. Dans les foyers modestes, le krama sert aussi de serviette, de nappe, de rideau léger ou même de couverture d’appoint pendant la saison fraîche.
Utilisations contemporaines
Aujourd’hui, le krama trouve de nouvelles applications : accessoire de mode urbaine, décoration murale dans les hôtels de luxe, ou encore emballage écologique pour les cadeaux. Cette adaptabilité remarquable explique pourquoi ce simple tissu à carreaux reste indispensable dans la culture cambodgienne moderne.
Où acheter un authentique krama ?
Pour ramener un krama authentique de votre voyage au Cambodge, plusieurs options s’offrent à vous, du marché traditionnel à la boutique éthique.
Marchés traditionnels
Le Russian Market (Psar Toul Tom Poung) à Phnom Penh est l’un des endroits les plus populaires pour acheter des kramas à prix abordables. Vous y trouverez une grande variété de modèles traditionnels entre 3 et 8 euros. Le Old Market de Siem Reap propose également un large choix, mais attendez-vous à des prix légèrement plus élevés en raison de l’affluence touristique.
Boutiques éthiques
Pour des kramas de meilleure qualité et un impact social positif, visitez les boutiques d’Artisans d’Angkor à Siem Reap ou Phnom Penh. Cette entreprise sociale forme et emploie des artisans locaux, garantissant l’authenticité et la qualité de leurs produits. Comptez entre 8 et 15 euros pour un krama en coton et jusqu’à 30 euros pour un modèle en soie.
La boutique Krama Krama à Phnom Penh et Siem Reap propose des créations contemporaines tout en soutenant les communautés rurales. Pour les kramas haut de gamme, rendez-vous chez Khmer Artisanry, où vous trouverez des pièces d’exception tissées par des maîtres artisans, à partir de 25 euros.
Entretien du krama
Pour préserver la beauté et la durabilité de votre krama, quelques gestes simples suffisent. Un entretien approprié garantira que ce textile traditionnel vous accompagne pendant de nombreuses années.
Lavage
Le lavage à la main est fortement recommandé pour tous les types de kramas. Utilisez de l’eau tiède et un savon doux, en évitant les détergents agressifs qui pourraient altérer les couleurs. Pour les kramas en coton, un trempage de 15 minutes suffit généralement à éliminer les saletés. Les kramas en soie nécessitent une attention particulière : ne les frottez jamais vigoureusement et limitez leur temps d’immersion.
Séchage et rangement
Après lavage, essorez délicatement votre krama sans le tordre, puis étendez-le à plat sur une surface propre, à l’abri du soleil direct qui pourrait faire pâlir les couleurs. Une fois sec, pliez-le soigneusement et rangez-le dans un endroit sec pour éviter les moisissures, particulièrement problématiques dans le climat humide du Cambodge.
Le krama et le développement durable
Le krama s’inscrit naturellement dans une démarche de développement durable, tant par ses matériaux que par son mode de production.
Production écologique
Traditionnellement, la fabrication du krama repose sur des pratiques respectueuses de l’environnement. Les teintures naturelles extraites de plantes locales (indigo, curcuma, écorces d’arbres) remplacent avantageusement les colorants chimiques. De plus, le tissage manuel sur métier traditionnel ne consomme aucune énergie électrique, réduisant considérablement l’empreinte carbone de chaque pièce.
Initiatives durables
Plusieurs projets associent le krama à des démarches de développement durable. L’initiative Krama Earth, lancée en 2018, forme des femmes des zones rurales au tissage traditionnel tout en utilisant exclusivement du coton biologique et des teintures naturelles. Chaque krama vendu finance des programmes d’accès à l’eau potable dans les villages producteurs.
La marque Krama Krama a développé un modèle économique circulaire où les chutes de tissus sont recyclées en accessoires complémentaires. Ces initiatives démontrent comment l’artisanat traditionnel peut s’intégrer parfaitement dans une économie moderne et responsable, créant des emplois durables tout en préservant le patrimoine culturel cambodgien.
Conclusion
Le krama, bien plus qu’un simple carré de tissu, incarne l’âme résiliente du Cambodge. À l’heure où la mode durable gagne du terrain, ce textile ancestral pourrait bien devenir un ambassadeur du savoir-faire artisanal cambodgien sur la scène internationale. Entre tradition préservée et réinvention créative, le krama trace sa route vers l’avenir, portant avec lui l’histoire d’un peuple et l’espoir d’un artisanat durable. Le krama, tissu du passé ou matériau de la mode de demain ? Probablement les deux, dans un équilibre parfait entre héritage et innovation.
FAQ
Voici les réponses aux questions les plus fréquemment posées sur le krama cambodgien.
Quelle est l’origine du krama ?
Le krama trouve ses origines dans l’histoire ancienne du Cambodge, remontant à l’époque pré-angkorienne (Ier-Ve siècle). Des représentations sur les bas-reliefs d’Angkor montrent des personnages portant des étoffes similaires. Ce textile a évolué au fil des siècles pour devenir l’emblème culturel que nous connaissons aujourd’hui, survivant même aux périodes les plus sombres de l’histoire cambodgienne.
Comment est fabriqué un krama ?
Un krama traditionnel est tissé à la main sur un métier à tisser en bois. Le processus comprend la préparation des fils (coton ou soie), leur teinture (souvent avec des colorants naturels), puis le tissage proprement dit où les fils de chaîne et de trame s’entrecroisent pour former le motif à damier caractéristique. La fabrication d’un krama de qualité nécessite entre 6 et 16 heures de travail minutieux.
Où puis-je acheter un krama ?
Vous pouvez acheter un krama authentique dans les marchés traditionnels cambodgiens comme le Russian Market à Phnom Penh ou l’Old Market à Siem Reap. Pour des pièces de meilleure qualité, visitez les boutiques d’Artisans d’Angkor ou Krama Krama. En ligne, plusieurs marques éthiques comme Krama Heritage proposent des kramas authentiques fabriqués par des artisans cambodgiens.
Comment entretenir mon krama ?
Lavez votre krama à la main avec un savon doux et de l’eau tiède. Évitez les détergents agressifs et le lavage en machine. Séchez-le à plat, à l’ombre, pour préserver ses couleurs. Les kramas en soie nécessitent un soin particulier : ne les tordez jamais et manipulez-les délicatement.
Quelles sont les dimensions d’un krama ?
Les dimensions varient selon l’usage et la région. Un krama traditionnel mesure généralement entre 70 et 80 cm de largeur pour 140 à 180 cm de longueur. Les kramas en soie sont souvent plus petits (40-50 cm × 150-170 cm), tandis que certains kramas spéciaux peuvent atteindre 220 cm de longueur.
Crédit photo:
Cambodian Lady with Krama – randomix https://flic.kr/p/8jiGHf (image à la une)





Bonsoir Rattana,
Merci pour ce chouette article! Ma maman, qui est allée au Cambodge l’an dernier, nous avait rapporté à mon compagnon et moi deux foulards à petits carreaux très jolis. Je ne connaissais pas leur signification jusqu’à ce que ton concours me fasse aller sur la page Krama Krama où j’ai retrouvé les mêmes foulards.
Ensuite, en cherchant sur ton blog, j’ai trouvé ton article. Merci pour toutes ces informations! C’est très intéressant!
salut!
Je ne connaissais pas le krama mais c’est une jolie découverte, d’autant plus que je serais au Cambodge dans quelques mois. Je serais quoi ramener de typiquement cambodgien à mes proches.
Superbe article en tous cas.
A très bientôt.
Cédric @ pixels du bout du monde
Bonjour Cédric,
En général c’est un cadeau qui fait plaisir car il est facile à porter :)
Où pars-tu au Cambodge ?
Merci pour ton commentaire :)
J’aime beaucoup cet article. J’ai lu pas mal de livre sur le Cambodge (une lubie pendant un temps :) ) et chaque fois le Krama est un objet omniprésent. C’est chouette de connaître son histoire.
Merci Rattana
Merci pour ton commentaire Astrid.
Oui omniprésent c’est tout à fait cela !
Au moment où je te réponds j’en porte un autour du cou ^^.
Je trouve cela important quand on visite un pays de connaître un minimum un des symboles nationaux. Et chaque symbole à une histoire mais bon je ne sais pas depuis quand est apparu le krama, depuis combien de temps il existe. Mais une chose est sûre, c’est que c’est un produit typiquement khmer et ça on ne pourra pas l’enlever au Cambodge :)